La dynastie des Porée

Les Bardoul, propriétaires du premier manoir

Une route mène de Saint-Malo aux Portes Rouges. De là, le voyageur peut obliquer vers Cancale ou poursuivre sa route vers le Mont-Saint-Michel et la Normandie. Un peu avant d'y parvenir, à la Croix de l'Ormel, une autre croisée de chemin permet d'atteindre le village de Saint-Méloir-des-Ondes. Près de là, un long enclos garde le domaine de la Bardoulais. À l'origine, il s'étendait sur deux cents hectares, la surface des anciennes villae gallo-romaines. Pourtant, contrairement à nombre de propriétés malouines, les Ville-Poulet, Ville-Jean, ou ville-Cœuru voisines, il n'a pas conservé en son patronyme la réminiscence de ce passé. Il porte au contraire le nom des Bardoul, propriétaires du premier manoir alors qu'Anne, duchesse de Bretagne et Reine de France, s'attache à régler un différend opposant le chapitre et les bourgeois de Saint-Malo. Pour marquer cet évènement, elle fonde ce 1er décembre 1513 une grande messe. Tous les vendredis de l'année, la plus grosse cloche de la ville vibrera trente fois pour l'annoncer aux fidèles.

St meloir region plan

Bardoul, Boullain, Porée, ...

Un siècle plus tard, la Bardoulais passe dans la famille des Boullain et des Porée. Une véritable dynastie prend désormais en charge sa destinée. En 1586, Jacquette Boullain a pris pour époux Michel Porée. Leurs pères siègent en ville, l'un à côté de l'autre, au sein du Conseil des Conservateurs. Une nouvelle guerre de religion menace. Robert Boullain, sieur de la Conterie, en est même le procureur-syndic, pour quelques mois encore. Il ne le sera plus quand le Roi Henri III meurt, assassiné. En l'absence d'héritier, Henri de Navarre est, en droit, souverain de France. La ville de Saint-Malo, rappelons-le, refuse de voir un roi protestant sur ce trône. Elle décide de s'ériger en une sorte de république. Elle veut s'autogouverner, le temps que la France se donne un roi catholique. Le château est pris dans la nuit du 11 mars 1590. Pourtant il paraissait imprenable.

Armes bardoul et boullain

1589 : Henri de Navarre devient Roi

Les portes de la ville restent fermées. Nul ne doit y entrer. Nul ne veut voir les partisans de la Ligue imposer leurs vues. Leur extrémisme est interdit, au même titre que les idées protestantes. Robert Boullain s'étant montré favorable au Roi de Navarre, il devient donc dangereux auprès de ceux qui se sont emparés du pouvoir. L'ancien procureur-syndic est conduit depuis son domicile vers le manoir épiscopal pour y être enfermé sous bonne garde. Son petit-fils, Michel Porée, vient d'avoir treize mois. Il esquisse ses premiers pas dans une ville en pleine effervescence et soucieuse de l'avenir. Un mois plus tard, le 9 avril, Jean Porée, sieur de Tertre-Galais, prend la parole. La communauté de ville s'assemble. Midi vient de passer d'une heure. À la surprise de presque tous, il demande d'élire "un chef et président du Conseil au gouvernement de la ville et château". Les chanoines présents sont surpris. Ils avaient accueilli les conjurés pour concevoir l'échelle nécessaire à l'ascension de la tour Générale ; les voilà menacés dans leur pouvoir temporel. Ils quittent la salle. Jean Picot, sieur de la Gicquelaye, est élu premier chef et président de Saint-Malo.

Plan et profil de saint malo

La république malouine (1590-1594)

Le 8 septembre, une escouade de chevau-légers franchit la porte de la ville. Elle escorte une délégation auprès du duc de Mercœur, le chef de la Ligue en Bretagne, pour se prémunir de "l'orage des guerres". Porée est parmi eux. Mais, Mercoœur refusera de reconnaître leur forme de gouvernement. Il ne veut point de "gouvernement populaire et une république". Mercœur n'entrera jamais à Saint-Malo. Henri de Navarre, devenu Roi et ayant reçu le baptême, retrouvera une ville fidèle. Pendant 4 ans, Saint-Malo osera parler d'égal à égal avec de grandes puissances. La psychologie des Malouins s'en trouvera transformée.

Armes de st malo

Guerre de La Ligue d'Augsbourg (1688-1697)

L'enfant Michel a grandi. Il est devenu procureur-fiscal de Saint-Malo. Son père lui a légué le Parc situé dans le village de la Beuglais, non loin des Croix-Gibouins. Ses enfants recevront de lui le Parc et La Bardoulais. L'un deux, René-Joachim, a choisi la voie ecclésiastique. Le chapitre de Saint-Malo l'accueille avec la dignité de grand chantre. Docteur en Sorbonne, il est approché par les armateurs inquiets à propos de la légitimité de la course vers laquelle la guerre les plonge, en ce dernier quart du dix-septième siècle. Ses conclusions les rassurent pleinement. La Ligue d'Augsbourg s'attaque à la France. Sous les murs de la cité, des frégates sont rapidement transformées en corsaires, avant que de nouvelles unités sortent des chantiers navals qui fleurissent sur le Sillon, aux Talards, au Val ou à Solidor. Sur les quais de Saint-Malo, un jeune homme se plaît à contempler le François-de-la-Paix. Voilà neuf ans qu'il navigue. Il en a reçu le commandement, l'année d'avant. En cette année 1690, c'est muni d'une lettre de marque qu'il monte à la coupée. Il a pour nom Alain Porée. Il est Sieur de la Touche et a vingt-quatre ans. Son grand-père était le neveu de Michel Porée, le premier à avoir reçu la Bardoulais.

Lettre de marque2

Capitaine du Saint Esprit

En 1694, il est blessé lors d'un abordage contre un navire de Flessingue. L'année suivante, il se voit confier le Saint-Esprit. Son frère, Charles, navigue de conserve, à bord du François-d'Assise. La croisière n'est guère fructueuse. Pas une prise en vue. Pire, au large des Sorlingues, quelques voiles surgissent à l'horizon. Il ne s'agit point d'un marchand mais d'un vaisseau de guerre. Ils n'ont que trente-quatre pièces légères à opposer aux cinquante lourdes pièces anglaises. Ils ne peuvent échapper au combat. Pendant 5 heures, ils luttent. Heureusement, des boulets ramés parviennent à abattre la mâture de l'anglais. Le voilà réduit à l'état de ponton. Il n'y a plus qu'à le prendre à l'abordage. Le 28 février 1695, les deux corsaires malouins remorquent derrière eux le Dartmoor. À bord du Saint-Esprit, quarante et un hommes ont été tués ou blessés.

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Alain Porée s'éteint le 15 mai 1730 ; le Clos-Poulet s'enrichit d'une nouvelle malouinière

Il a plus de chance l'année suivante. Trois puissants vaisseaux de la Compagnie des Indes Orientales hollandaise tombent entre ses mains et en celles de Monsieur de la Bellière, capitaine du Polastron, lui aussi de Saint-Malo. Porée s'empare à l'abordage de la Princesse du Danemark. Son capitaine est tué. Le pavillon rouge, blanc et noir de la ville d'Amsterdam est abaissé. Un portrait du Roi et une épée d'honneur sont envoyés de Versailles en compliment. Alain Porée honorera cette marque de faveur. Il est blessé au mois d'octobre suivant dans une attaque contre un corsaire de Flessingue. En 1702, il combat au côté de Duguay-Trouin. Un boulet batave emporte son bras. Cela ne l'empêche pas de reprendre la mer vers l'Atlantique austral et le Cap Horn. Les eaux des îles Malouines et des Galápagos lui deviennent familières. Ayant pris terre pour la dernière fois, Alain Porée profite, vingt ans durant, des souvenirs de sa jeunesse. Il s'éteint le 15 mai 1730. Les descendants de Michel Porée et de Jacquette Boullain veulent une nouvelle maison de maître. Le Clos-Poulet s'enrichit d'une nouvelle malouinière.

 

Extrait de l'ouvrage « Au pays de Saint-Malo, l’épopée des Malouinières » par Gilles Foucqueron – Éditions Cristel (2007)

La bardoulais chambre d hotes 2006 007

Alain Porée, premier français ayant doublé le cap Horn d'est en ouest en 1708

Première épée d'honneur offerte en 1693 au capitaine Alain Porée par le roi Louis XIV pour avoir défendu St Malo contre les Anglais

Seconde épée d'honneur offerte en 1730 à Alain Porée par le roi Louis XV pour sa campagne de 2 ans en mer du sud

Portrait du roi orné de diamants offert par Louis XIV en novembre 1696 à Alain Porée suite à sa prise du vaisseau de guerre anglais Le Darmouth